Emergence et réductionnisme
J’essaie de construire des toiles équilibrées, trouver un aplomb par rapport à la gravité (la verticale) avec des formes amples et faussement géométriques. Ce n’est pas évident dans une démarche abstraite. C’est plus simple dans le figuratif ; il y a des règles connues et il suffit, par exemple, de regarder certains tableaux de Cézanne (notamment ses natures mortes) pour comprendre ces règles.
Ensuite, j’essaie de faire simple. Tout le monde sait bien que c’est compliqué de faire simple. En ce qui me concerne, faire simple, c’est aboutir à un tableau silencieux. Au départ, c’est le tumulte, le chaos ; les formes, les couleurs s’entrechoquent et il faut petit à petit enlever, harmoniser, simplifier pour obtenir ce silence. Beaucoup de mes œuvres ne sont pas suffisamment silencieuses, ce n’est donc pas réussi ; certaines se rapprochent du silence, c’est alors mieux.
Je voudrais, et c’est le plus difficile, que mes tableaux aient des propriétés émergentes et non réductionnistes. Je m’explique.
Une œuvre qui possède des propriétés réductionnistes est telle que les propriétés de l’ensemble, du tout, correspondent à la somme des propriétés de chaque partie, ni plus, ni moins. Ainsi, pour analyser ce genre d’œuvre, il suffit de la décomposer en parties élémentaires (un paysage constitué d’une route, d’une église,…), d’analyser ces parties élémentaires (le dessin, les couleurs) de comprendre leurs imbrications, leurs positions pour en déduire que l’œuvre est réussie, ou non. On peut, par exemple, adopter cette démarche lors d’une visite au musée d’Orsay pour admirer les tableaux de Corot, Millet, Courbet.
Une œuvre qui possède des propriétés émergentes est telle que le tout est plus grand que la somme des parties. Il y a une sorte de discontinuité, de saut qui fait que de nouvelles propriétés apparaissent. Ainsi, il n’est pas conseillé, dans ce genre d’œuvre, d’analyser chacune de ses parties pour comprendre le tout. Par exemple, lors d’un concert symphonique, le plaisir que procure l’écoute de l’ensemble des instruments est supérieur à la somme des plaisirs éprouvés en écoutant chaque instrument séparément.
Il faut donc avoir une approche macroscopique (et non microscopique), globale, voire presque systémique afin de découvrir les interactions externes que crée l’œuvre avec le regardeur (une émotion, un message de fond humaniste, philosophique, politique…et n’oublions pas que « l’artiste n’est plus là pour reproduire le visible, mais pour rendre visible »-Paul Klee) et les interactions internes qu’elle contient. Par exemple, l’impressionnisme et plus particulièrement, Claude Monet est arrivé à ce genre de résultat lorsqu’il a peint les cathédrales de Rouen ; une vingtaine de toiles représentant la même façade, le matin, à midi, le soir, par temps de pluie, de soleil,….En raison de ses connaissances sur la théorie des couleurs, le rendu global est bien supérieur à la somme des parties représentées.
Que dire de Mondrian, Kandinsky, Pollock, Poliakoff, Nicolas de Staël, Paul Klee, Soulages,….
Christian Teixido